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Cultures textiles en dialogue

Entretien avec Serge Mouangue, artiste et créateur de « Wafrica », par le Musée du Quai Branly Jacques Chirac (Paris, France)

Votre travail met en évidence les liens entre les cultures africaine et japonaise, pourtant très éloignées a priori. Qu’ont-elles en commun, selon vous ?

Il existe beaucoup de similarités entre les deux cultures, à commencer par l’animisme, le rapport très respectueux aux anciens, une forte hiérarchisation qui structure les relations entre les individus, et un rapport un peu féodal au clan ou à la tribu. Il y a aussi une grande sophistication : tout est très codé dans ces deux régions du monde.

Vos kimonos, confectionnés en wax, sont salués dans le monde entier. Pourquoi avoir choisi ce vêtement comme terrain d’expression privilégié du lien entre Afrique et Asie ?

Parce que le kimono est une icône planétaire du Japon, tout comme on reconnaît une écriture fortement typée d’Afrique de l’Ouest dans des tissus comme le wax ou le bogolan.

Deux de vos sublimes kimonos sont exposés ici, pouvez-vous nous parler de ces pièces en particulier ?

Nous avons choisi ces deux kimonos avec le musée du quai Branly – Jacques Chirac. Le premier est réalisé en bogolan, justement. En termes iconographiques, il est très lié au pays dogon. Je le trouvais intéressant parce qu’il résonne parfaitement avec la mission du musée, qui est de créer des passerelles entre les cultures et d’éveiller la curiosité. Le second, qui date de 2008, est l’un des premiers kimonos que j’ai créés. Il est en wax brun avec un obi japonais en soie, qui, à la manière d’un corset, sert à structurer le vêtement. Grâce à lui, on peut ajuster la hauteur, y glisser des accessoires ou faire des noeuds exceptionnels… Je souhaitais que ce kimono représente une troisième esthétique, un univers qui n’appartienne ni au Japon ni à l’Afrique mais qui crée un imaginaire nouveau.

Qu’interrogez-vous avec vos créations hybrides entre Japon et Afrique de l’Ouest ?

De façon sous-jacente, je pose la question de l’identité, qui a pris ces derniers temps une place très importante. Existe-telle vraiment ? J’ai tendance à croire qu’une large partie de ce qu’on appelle « identité » est un fantasme. Beaucoup de femmes japonaises m’ont dit se retrouver dans mes créations, parce qu’elles ne ressentent pas la même obligation de soumission que lorsqu’elles portent un kimono traditionnel. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je n’ai pas la réponse, mais c’est une question importante car il y a beaucoup de dérives liées à cette appropriation des cultures. Au nom d’un fantasme que l’on défend bec et ongles, on revendique une identité alors qu’elle ne nous appartient pas du tout. Jusqu’où doit-on aller ? Il faudrait lâcher un peu de lest sur ce sujet. Je crois avant tout en une identité universelle.

Comment vos kimonos sont-ils accueillis au Japon et en Afrique ?

Au Sénégal, les jeunes sont intéressés de voir qu’on peut donner une nouvelle vie aux pagnes de leurs parents par le biais d’une culture qu’ils admirent et respectent énormément. Au Japon, il y a eu deux types de réactions. En enfilant l’un de mes kimonos, une femme m’a confié qu’elle avait l’impression de porter un héritage mondial. J’ai aussi eu quelques rares réactions moins enthousiastes, dont un mail d’insultes…
J’ai compris que des gens pouvaient se sentir offensés par mon travail iconoclaste. Cela m’a encouragé à questionner encore plus cette notion d’origine. Le kimono est un espace de liberté, il reste encore de nombreuses choses à explorer.

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